Mythologies postphotographiques

De la retouche au hack : l’imaginaire du code

De la retouche au hack : l’imaginaire du code

Servanne Monjour, « De la retouche au hack : l’imaginaire du code », Mythologies postphotographiques (édition augmentée), Presses de l’Université de Montréal, Montréal, isbn:978-2-7606-3981-2, https://www.parcoursnumeriques-pum.ca/10-mythologies/chapitre15.html.
version 01, 01/08/2018
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Dans son ouvrage Uncreative Writing (2011), le poète américain Kenneth Goldsmith se livre à un ardent éloge du plagiat : la création serait désormais moins affaire d’innovation que de réappropriation. Les photographes de la seconde révolution numérique l’ont d’ailleurs bien comprisVoir le chapitre 4 « Vers une postphotographie ?  » (Partie I. L’imaginaire de la révélation photographique).

 : à quoi bon continuer d’ajouter des contenus à la masse déjà illisible des textes et des données disponibles sur le web ? Uncreative Writing se présente comme un « manuel » du bon plagiaire, c’est-à-dire du plagiaire créatif. Parmi les petits exercices proposés, le hack des images numériques : prenez un fichier JPEG, convertissez-le en TXT ; dans ce fichier texte, écrivez quelque chose (mieux : copiez-y un poème célèbre, un extrait de roman populaire) puis convertissez à nouveau votre fichier en JPEG, afin d’observer les déformations obtenues. Leçon de l’exercice : l’image numérique est avant tout écriture. Écriture que l’on peut effacer et par-dessus laquelle on peut réécrire, à la manière d’un palimpseste. Les conséquences sont potentiellement considérables pour la photographie : ce que l’on voit, quand on regarde une image, n’est en effet qu’une « traduction » visuelle du code – indéchiffrable en tant que tel, mais aisément corruptible. Cette condition inédite de la photographie, qui n’est plus fondamentalement image, alimente tous les fantasmes. Car là où l’on a tendance à anthropomorphiser les éléments issus de l’informatique, le code, lui, « résiste » en quelque sorte et se présente à notre imaginaire comme un système de signes qui serait neutre. Or, comme le soutient Mark Marino qui plaide pour l’instauration de « critical code studies » (2006 , 2016), le code est d’abord un texte dont il nous appartient de repérer les connotations. Dans le cas présent, on se demandera surtout quelle valeur accorder à cette anamorphose texte-image qui semble avoir repoussé les frontières de l’art de la retouche ? Ce hack du code photographique n’est-il pas une tentative de pirater le réel ? À quoi mesure-t-on désormais un bon photographe ?

La question du code constitue le point de départ de nombreux débats consacrés à la photo numérique. Elle a notamment donné lieu à une mythologie foisonnante qui puise en partie son inspiration dans les théories posthumanistes et à laquelle la critique elle-même semble devenue poreuse. Partisan des premières théories postphotographiques, Fred Ritchin s’appuie sur la différence entre code (modélisation du réel) et empreinte photochimique (trace du réel) pour établir un clivage ontologique radical entre les techniques numériques et argentiques, avec une métaphore d’autant plus frappante qu’elle évoque un motif lié à la nature des choses, l’ADN :

[P]hotography in the digital environment involves the reconfiguration of the image into a mosaic of millions of interchangeable pixels, not a continuous tone imprint of visible reality. Rather than a quote from appearances, it serves as an initial recording, a preliminary script, which may precede a quick and easy reshuffling. The digital photographer—and all who come after her—potentially plays a postmodern visual disc jockey.

At the next frontier, code triumphs over appearance. Phenotype, the stuff of photography, once trumped genotype (in the image of “God”). In the information age it is the DNA that has been crowned humanity’s essential arbiter. […] One day soon we will ask of the image : “From where do those blue eyes come ?” expecting that the answer will be conveyed in code (2009).

Soulignant l’analogie entre le code informatique d’une photographie et le code génétique des êtres vivants, Ritchin affirme que le photographe agirait sur l’image tel un généticien manipulant le génome en laboratoire. La distinction entre argentique et numérique se pose alors en ces termes : tandis que le médium de Niepce et de Daguerre serait du côté du phénotype, soit de l’apparence des choses (pour montrer ou représenter des yeux bleus, par exemple), le numérique se situerait quant à lui du côté du génotype, soit de l’information (ces mêmes yeux bleus étant définis par un code, par un ensemble de données). Ironie de la métaphore, le photographe est finalement reconduit dans son laboratoire, qu’il partage cette fois-ci non plus avec le chimiste, mais avec le généticien et l’informaticien. Ce qui ne manquera pas, au passage, de raviver de vieux débats sur la valeur esthétique du média photographique.

En recourant à la métaphore génétique, Ritchin entendait certainement trouver un point de comparaison rationnel, indiscutable, pour percer la nature de la photographie numérique, artefact toujours davantage soumis à des logiciels de manipulation et capable de se propager dans l’ensemble du réseau en quelques minutes… Sans tout à fait se rendre compte, semble-t-il, du fait que cette métaphore renvoie elle-même à un imaginaire du gène en partie construit par la littérature depuis le XIXe siècle (Chassay 2013) et tiraillé entre des connotations technophiles (incarnées dans l’idée d’évolution) ou au contraire technophobes (le risque de dégénérescence, de rupture avec la « Nature »). Ritchin n’y échappe pas lui-même lorsqu’il défend le paradigme de la « révolution » photonumérique au nom d’une double problématique qui, d’ailleurs, a traversé l’histoire de la photographie : d’une part la question de l’authenticité, issue des opérations de manipulation des images (trucage, retouche, photomontage, etc.), d’autre part la question de l’aura, posée par les procédures de reproduction ou de réduplication de l’objet photographique. En d’autres termes, si la métaphore génétique de Ritchin est loin d’être absurde, d’autant plus qu’elle s’appuie sur des faits – l’image est écriture, code – elle n’en demeure pas moins biaisée et chargée de multiples connotations, dont certaines renvoient à des motifs et à des figures déjà anciennes : chimères, clones, virus, mythe de Pygmalion… Or, puisque la génétique est aussi affaire de généalogie, rien ne nous empêche de reprendre à notre compte cette métaphore – qui semble déjà faire autorité – pour la mettre au service d’une pensée de la continuité plutôt que de la rupture.

En comparant l’image numérique à l’ADN, Ritchin a raison de mettre l’accent sur le déplacement des procédures de traitement et de manipulation, désormais installées en amont de l’image. De plus en plus de photographes travaillent aujourd’hui à partir du fichier RAW (qui réinvestit le fantasme de pureté de l’image), alors même que la phase de « postproduction » a pris une place prépondérante. Les conséquences ontologiques de cette mutation pourraient s’avérer, selon Ritchin, particulièrement radicales :

While those in media have been modifying the eye or skin color in photographs, changing textures or modifying body types, geneticists have been experimenting with strategies to change the actual physical person. Whether aware of it or not, those manipulating photographs are preparing the way for fundamental personal and societal changes (2009).

Jadis observateur du réel, le photographe pencherait désormais du côté du savant fou : parce que l’image numérique se range du côté du génotype (de l’information) plus que du phénotype (de l’apparence), toute opération de manipulation toucherait directement le référent. La manipulation ou la retouche photographique ne viendrait plus « corriger » le réel, mais le « hacker », le pirater purement et simplement. Ainsi, de même qu’il existe des espèces augmentées, des espèces génétiquement modifiées, l’image numérique relèverait de la chimère. Cette création ex nihilo tout droit sortie du code informatique serait capable de modifier le réel avec d’autant plus d’efficacité qu’elle est virale. C’est ici que la métaphore génétique – qui n’est finalement qu’une nouvelle déclinaison du motif de l’« empreinte » – permet de réactualiser la problématique de la reproductibilité des images à l’aune du clonage. La notion d’« originalité » ne serait en effet plus valide en contexte numérique puisqu’à partir du code, du « génome » informatique, une image peut être indéfiniment recréée (et non plus seulement reproduite).

Quand bien même elle est en partie fantasmée, la métaphore génétique de Ritchin incarne une tendance essentielle de la mythologie photonumérique, qui s’est saisie de la question du code à l’aide du motif pour le moins épineux et névralgique de la retouche. Bien que pratiquée depuis l’invention de Niepce et de Daguerre, la retouche est restée taboue ou dénoncée de manière proprement irrationnelle : encore aujourd’hui, on ne cesse d’être surpris, par exemple, par le caractère totalement arbitraire des opérations de manipulation autorisées par le World Press Photo chaque année… Dans une entrevue avec Claire Guillot, Véronique de Viguerie, photoreporter et membre du jury du World Press, témoigne du malaise encore persistant des professionnels face à la retouche, au nom d’une transparence et d’une essentialisation du réel :

Le jury a eu des discussions assez longues et assez chaudes sur jusqu’où on peut aller sur la manipulation des images, sur la façon dont on peut jouer avec Photoshop pour les améliorer. […] On m’a appris qu’il était admis de faire avec Photoshop ce qu’il est possible de faire en chambre noire. Mais ça dépend si on est doué ou pas dans le laboratoire ! En fait, pour moi, quand l’amélioration va à l’encontre de la réalité, quand elle aboutit à cacher une partie du contexte de l’image, on peut dire que la limite est franchie. Il faut bien voir qu’un fichier RAW doit forcément être travaillé pour donner une image publiable. La question c’est dans quelle mesure. C’est comme l’alcool, ça doit être fait avec modération ! Car les images parlent souvent d’elles-mêmes, sans qu’il soit besoin de trop en rajouter. De façon générale, nous avons été sévères […] avec l’idée que le World Press fixe des normes. Donc nous avons préféré être trop stricts, sinon c’est la porte ouverte à toutes les manipulationsPropos rapportés par Claire Guillot (2013).

.

Bien qu’il ne l’ait guère inventée, le numérique a cristallisé la polémique autour de la retouche photographique, ravivant le soupçon qui pèse systématiquement sur l’image et le photographe.

Si la littérature a souvent eu recours au photomontage (chez les surréalistes, par exemple), elle s’est encore assez peu frottée aux manipulations numériques, comme s’il y avait une réticence à transformer la photographie, et encore plus à assumer cette transformation, la plupart des écrivains restant très attachés à son imaginaire indiciel. Sans aller jusqu’à prétendre qu’il s’agit d’un sujet tabou – car ce n’est pas vraiment le cas –, on ne peut affirmer que le photomontage n’est que peu abordé, ou alors en des termes peu flatteurs. C’est pourquoi l’écrivain américain Lance Olsen se démarque avec son récit autofictionnel Girl Imagined by Chance (2002). Sorte de variation autour du mythe de Pygmalion, ce roman examine les conséquences de la manipulation numérique dans un récit de filiation qui fait écho à la métaphore de Ritchin. Girl Imagined by Chance raconte l’histoire d’un couple qui, pour répondre à la pression familiale et sociale le poussant à avoir un enfant, s’invente une petite fille et la fait vivre pendant plusieurs années, preuves photographiques à l’appui. Si le roman, publié en 2002, est déjà ancien au regard de la croissance rapide des technologies numériques, il traduit les craintes des dérives de la manipulation photographique à un moment où celle-ci fait l’objet d’une démocratisation et d’une simplification croissante, entraînant un processus de remédiation radical de l’argentique, qui gagne en authenticité au regard de cette nouvelle technologie jugée trompeuse. Dans Girl Imagined by Chance, « you » (le récit est narré à la deuxième personne) prélève et numérise les vieilles photos de famille de sa femme Andi afin d’y puiser la « matière » de leur propre fille, qu’il crée et assemble à l’aide du célèbre logiciel Photoshop. Cette remédiation soulève évidemment des interrogations quant au principe de filiation, aux plans tant biologique que médiatique : l’enfant doit ressembler à sa mère, mais les photos de l’enfant doivent elles aussi ressembler à celles de sa mère – autrement dit, la photo numérique doit être la réplique de la photo argentique. L’enfant sera d’ailleurs prénommée Genia, « with a G that sounds like a J […] as in photogenic » (Olsen 2002, 127). Car c’est bien à sa beauté que Genia, créature photographique et donc photogénique, doit sa sincérité à défaut de sa réalité : « The unreal is exactly like the real, only more sincere » (2002, 95). Régulièrement, des photos de Genia sont envoyées à la famille et aux amis d’Andy et de you restés vivre au New Jersey (le couple, lui, a déménagé en Idaho, où il espère que personne n’aura jamais l’idée de lui rendre visite). Le livre en comprend douze – allusion aux vieilles pellicules argentiques de douze poses –, stratégiquement placées au début de chaque chapitre.

Dans Girl Imagined by Chance, la figure de Pygmalion ressurgit de toute évidence dans celle du narrataire, dont la fille imaginaire Genia, Galatée photoshoppée, va peu à peu transfigurer son corps de pixels. Genia s’incarne tout d’abord dans la chair de son créateur. Soucieux de façonner un mensonge crédible, celui-ci se spécialise dans les questions liées à la maternité, et finit par en ressentir lui-même les symptômes :

Next day you experience psychosomatic morning sickness. The sensation is both exhilarating and disconcerting. If you think hard enough about it, your breasts hurt. You want to use the word boobs to refer to them. My boobs are humongous, you want to say. Humongous and achy (2002, 89).

Le couple pousse le souci du détail jusqu’à simuler l’accouchement : « it’s showtime » (2002, 95), déclare Andi lorsqu’elle réveille son mari en pleine nuit pour se rendre jusqu’à la porte de l’hôpital. Mais ce qui reste de l’ordre du spectacle pour Andi s’avère bien plus ambigu pour le narrateur, notamment après la « naissance » de Genia, quand le travail de photomontage consistera à dessiner un visage à l’enfant, à lui donner une identité, une personnalité au fil des images. Plus you fournit d’efforts pour rendre Genia vraisemblable, plus il la rend réelle :

Before long, you are watching your daughter again. She is one and a half, rocking forward in her highchair at the dinner table, meeting your eyes with purpose and concentration, her face reddening as she unselfconsciously takes a dump in her diapers. At some point realities have slid past one another and you find yourself beginning to love her (2002, 242).

Comme dans le mythe originel de Pygmalion, le narrateur développe des sentiments pour sa créature : c’est bien cet amour du père envers sa fille qui lui donne un supplément d’existence.

Mais alors que dans le mythe grec Galatée finissait « vraiment » par prendre vie, changeait de statut ontologique en passant du monde inanimé des objets au monde des vivants, chez Olsen ce sont deux réalités qui interfèrent entre elles au point de se superposer – une anamorphose entre le monde « réel » du narrateur et son imaginaire, venus empiéter l’un sur l’autre par la médiation de l’image numérique. Tant et si bien que le mensonge devient ingérable quand des amis du couple annoncent leur arrivée en Idaho pour une visite. Bientôt, you et Andi n’ont plus d’autre choix que d’y mettre un terme : leur Galatée photogénique doit mourir. Dans un dernier récit, le narrateur raconte comment Genia échappe à sa surveillance alors qu’elle joue dans le jardin, traverse la route et se fait renverser par une voiture. Une cérémonie est organisée pour lui rendre un dernier hommage. Car il ne s’agit pas seulement de sauver les apparences : you a besoin d’inventer et de raconter la mort de Genia pour qu’elle cesse enfin d’exister à ses yeux, pour en faire le deuil.

Tragique, le récit d’Olsen est ambigu au sujet de l’image numérique. Si tout semble finalement rentrer dans l’ordre, c’est au prix de la mort de la créature qui va bouleverser son inventeur. Publié en 2002, Girl Imagined by Chance est imprégné de la pensée de BaudrillardLance Olsen dédicace son roman à Andi « Camera Lucida », et cite à de nombreuses reprises Roland Barthes, Susan Sontag (tous deux en épigraphe), Charles Sanders Peirce, Jean Baudrillard, Diane Arbus.

 : l’image photographique y apparaît encore comme un simulacre, un matériau de l’hyperréalité dont le narrateur parvient à s’émanciper en tuant Genia. Mais cette liberté n’a rien d’une victoire. À la mort de leur fille, Andi et you optent pour un mode de vie où la technologie sera bannie : après avoir successivement jeté leurs téléphones cellulaires puis résilié leur abonnement internet, les deux décident à la toute fin du roman de couper leur ligne de téléphone fixe. Olsen construit donc un anti-Pygmalion, un temps soumis à la tentation d’un « simulacre numérique », mais qui choisit finalement de rompre avec le monde moderne et ses technologies. Un revirement surprenant au regard du récit qui a précédé et qui illustre d’une part la méfiance persistante à l’égard de la culture émergente, d’autre part la difficulté à sortir d’un système ontologique où, quoi qu’on en dise, il existe une réalité plus juste que d’autres… Au fond, la question ontologique n’a jamais cessé, en photographie, d’être rattrapée par des considérations morales ou éthiques. Peu importe son code informatique, le fait photographique demeure soumis à des codes culturels qui ont la vie dure.

Ces derniers temps, une nouvelle tendance consiste d’ailleurs à diffuser des images étiquetées « sans retouche », ce qui montre que le débat sur la manipulation n’a pas perdu de son actualité. Le hashtag #nofilter connaît un grand succès sur Twitter, tout comme l’application NormalizeEn savoir plus sur l’application Normalize.

, permettant de supprimer les différents filtres qu’on a pris l’habitude d’appliquer à nos clichés avec des applications comme InstagramSur l’application Normalize, voir aussi le chapitre 8 « L’effet argentique » (Partie I. L’imaginaire de la révolution photographique).

. Plusieurs icônes de la mode ont vu leur portrait « au naturel » diffusé sur les médias sociaux (sans qu’il soit clairement établi s’il s’agissait d’images volées ou bien, plus vraisemblablement, d’une opération de communication bien orchestrée), s’attirant les louanges d’un public ravi de l’honnêteté des mannequins, des actrices et des chanteuses concernées (car c’est bien le corps féminin qui cristallise le débat sur les images retouchées) dans le seul milieu photographique où la retouche est historiquement admise. Ne nous y trompons pas, cet engouement pour l’image « au naturel » n’est qu’un nouveau modèle de construction de l’image affectant l’authenticité. Le naturel est bien sûr savamment travaillé pour accentuer les effets sans-retouche… Et malgré les critiques qu’il suscite encore (lesquelles, d’ailleurs, se gardent bien de dénoncer la construction photographique du corps féminin pour se concentrer sur la manipulation des images), le photomontage et ses opérations de trucage, de collage et compagnie sont devenus des modes de -production banalisés de l’image et largement admis comme tels, y compris par le public. À l’ère numérique, il reste difficile de se débarrasser du « poids du tabou [qui] a empêché les professionnels de reconnaître publiquement le caractère banal de la correction des images, y compris dans la photographie d’information [et qui a maintenu] le grand public dans l’illusion de l’intangibilité du document photographique » (Gunthert 2008).

En nous permettant d’intervenir à la racine de l’image photographique, dans son code, la photo numérique voit sa mythologie contaminée par les théories posthumanistes. Ironiquement, l’argentique y gagne en authenticité. L’imaginaire numérique forge la rumeur d’une image mutante, conçue par un photographe-démiurge bientôt dépassé par sa créature et ses clones se propageant tel le virus dans un réseau. André Gunthert n’a donc pas tort quand il dit que

l’argument de la retouche est la dernière étape d’une longue histoire : celle de l’invention de la photographie comme catégorie culturelle, morale et philosophique, dans sa fonction de garant de l’objectivité et de la transparence du réel. Ce qui est photographique exclut la retouche. Ce qui est retouché exclut le photographique. C’est l’application de ce syllogisme qui permet aux théoriciens de rejeter a priori les images numériques hors de l’univers de la photographie (2008).

En dépit de toutes les preuves accumulées pour montrer que non seulement le numérique n’a pas inventé l’art du photomontage, mais que ce dernier est consubstantiel à la photographie, l’« illusion de l’intangibilité » demeure. Une réalité dont sont bien conscients les praticiens de l’image, mais qui peine à s’imposer dans l’imaginaire collectif ou dans certains discours théoriques.

C’est pourquoi la pratique assidue du recyclage lancée par la nouvelle génération d’artistes postphotographiques pourrait bien changer la donne. On note en effet un infléchissement du discours sur le numérique : des termes encore pensés de façon largement péjorative il y a vingt ans (plagiat, hack, piratage) gagnent ou regagnent leurs lettres de noblesse dans ce qui s’apparente à une culture du hack (Coleman 2013 , 2015 ; Bardini et Proulx 2002). Dans son éloge du plagiat cité plus tôt, Kenneth Goldsmith a d’ailleurs souligné que les compétences fondamentales de l’auteur étaient en train de se déplacer : « How I make my way through this thicket of information – how I manage it, how I parse it, how I organize and distribute it – is what distinguishes my writing from yours » (2011). Pour qualifier cette nouvelle forme d’écriture-lecture, la critique francophone a forgé le concept d’éditorialisation, avec lequel notre pensée de l’anamorphose a beaucoup en commun.

Contenus additionnels

Rencontre avec Kenneth Goldsmith (6min21s)

Rencontre avec le poète Kenneth Goldsmith au Jeu de Paume à Paris dans le cadre du festival Hospitalités.

Crédits : Tracks ARTE

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Proposé par auteur le 2020-05-01

Kenneth Goldsmith Interview : Assume No Readership (16min51s)

Présentation et entretien de Kenneth Goldsmith pour qui « le copyright n’existe pas ».

Crédits : Louisiana Channel

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Proposé par auteur le 2020-05-01

Kenneth Goldsmith | « Recopiez-moi cinq pages »

Article de François Bon sur Kenneth Goldsmith et traduction d’un extrait de son ouvrage Uncreative writing.

Bon (2015)

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Proposé par auteur le 2020-05-01

« Inventing the future by Fred Ritchin » par Andrea Blanch

Interview de Fred Ritchin par Andrea Blanch pour Musée Magazine.

Ritchin et Blanch (2015)

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Proposé par auteur le 2020-05-01

CCSWG : Critical Code Studies Working Group 2018

Contenu de la 5eme Biennale en ligne du Critical Code Studies Working Group, think tank sur les Critical Code Studies.

Crédits : Critical Code Studies Working Group

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Proposé par auteur le 2020-05-01

Critical code studies : définition

Page de l’encyclopédie Wikipedia sur les Critical code studies, sous-domaine universitaire émergent.

Crédits : Wikipedia

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Proposé par auteur le 2020-05-01

Site de l’écrivain Lance Olsen

Crédits : Lance Olsen

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Proposé par auteur le 2020-05-01

« An Interview with Lance Olsen » par Ben Segal

Ben Segal interviewe l’auteur Lance Olsen pour le numéro 2.1 de la revue continent. (p.40-43).

Segal et Olsen (2012)

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Proposé par auteur le 2020-05-01

« Bienvenue dans l’ère post-photographique » par Aurélie Laurière

Article d’Aurélie Laurière sur la postphotographie pour le magazine Usbek & Rica.

Laurière (2017)

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Proposé par auteur le 2020-05-01

Références

Bardini, Thierry, et Serge Proulx. 2002. « La culture du hack en ligne, une rupture avec les normes de la modernité ». Les Cahiers du numérique 3 (2): 35‑54. https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=LCN_032_0035.

Bon, François. 2015. « Kenneth Goldsmith « Recopiez-moi cinq pages » ». Le Tiers Livre. https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article4016.

Chassay, Jean-François. 2013. Au cœur du sujet. Imaginaire du gène. Erres essais. Montréal: La Quartanier. https://www.lequartanier.com/catalogue/sujet.htm.

Coleman, Gabriella. 2013. Coding freedom the ethics and aesthetics of hacking. Princeton: Princeton University Press. https://press.princeton.edu/titles/9883.html.

———. 2015. Hacker, Hoaxer, Whistleblower, Spy. Random House Inc. https://www.versobooks.com/books/2027-hacker-hoaxer-whistleblower-spy.

Goldsmith, Kenneth. 2011. Uncreative writing: managing language in the digital age. New York: Columbia University Press. https://cup.columbia.edu/book/uncreative-writing/9780231149914.

Guillot, Claire. 2013. « Une photo « cinématographique » gagne le prix World Press ». Instantanés. http://expo-photo.blog.lemonde.fr/2013/02/15/une-photo-cinematographique-gagne-le-prix-world-press/.

Gunthert, André. 2008. « “Sans retouche” ». Études photographiques, nᵒ 22 (septembre). http://etudesphotographiques.revues.org/1004.

Laurière, Aurélie. 2017. « Bienvenue dans l’ère post-photographique ». Usbek & Rica. https://usbeketrica.com/article/bienvenue-dans-l-ere-post-photographique.

Marino, Mark. 2016. « Why We Must Read the Code: The Science Wars, Episode IV ». In Debates in the Digital Humanities. Minneapolis: University of Minnesota Press. http://dhdebates.gc.cuny.edu/debates/text/64.

———. 2006. « Critical Code Studies ». Electronic Book Review, décembre. http://www.electronicbookreview.com/thread/electropoetics/codology.

Olsen, Lance. 2002. Girl imagined by chance. Tallahassee: FC2. http://www.fc2.org/authors/olsen/imagined/girlimagined.html.

Ritchin, Fred. 2009. After photography. New York: W.W. Norton & Company. http://afterphotography.org.

Ritchin, Fred, et Andrea Blanch. 2015. « Inventing the future by Fred Ritchin ». Musée Magazine. http://museemagazine.com/culture/art-2/features/inventing-the-future-by-fred-ritchin.

Segal, Ben, et Lance Olsen. 2012. « An Interview with Lance Olsen ». continent. 2 (1). http://continentcontinent.cc/index.php/continent/article/view/77.