L’usage des réseaux sociaux pour chercheurs
Emmanuel Mourlon-Druol, « L’usage des réseaux sociaux pour
chercheurs », Étienne Cavalié, Frédéric Clavert, Olivier Legendre, Dana Martin (dir.), Expérimenter
les humanités numériques (édition augmentée), Presses de
l’Université de
Montréal, Montréal, 2017, isbn : 978-2-7606-3837-2, https://www.parcoursnumeriques-pum.ca/9-experimenter/chapitre2.html.
version 0, 01/09/2017
Creative
Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA 4.0)
Les réseaux sociaux s’imposent progressivement comme une composante à part entière du profil d’un universitairePour une analyse plus générale sur les réseaux sociaux, voir par exemple : Cardon (2011), p. 141-148 et Casilli (2012), p. 16-29.↩︎. L’image du chercheur ermite, rétif aux nouvelles technologies et volontairement détaché de tout lien électronique est en train progressivement de s’effacer. Deux influences y concourent : d’une part, le développement de réseaux sociaux spécifiquement dédiés aux chercheurs universitaires, et d’autre part, une demande grandissante de la présence d’universitaires en dehors de leur milieu professionnel.
L’antichambre des réseaux sociaux pour chercheurs : les listes de diffusion
Sans être un réseau social à proprement parler, les listes de diffusion par courriel demeurent, à l’heure où sont écrites ces lignes, l’un des moyens les plus aisés de partager et collecter des informations scientifiques. Les procédures d’abonnement et de désabonnement à ces listes de diffusion électronique sont généralement simples, immédiates, et flexibles. Les listes de diffusion sont multiples, et reflètent l’existence de diverses associations de chercheurs qui s’organisent traditionnellement par disciplines. Dans mon champ de recherche, l’histoire (économique) des relations internationales, plusieurs listes me sont utiles, parmi lesquelles (dans l’ordre alphabétique) l’Association française d’histoire économique, EH.Net, H-NetDont fait notamment partie H-Diplo.↩︎, H-Soz-u-Kult et RICHIE.
L’avantage d’un abonnement à de telles listes de diffusion est évident : il permet de recevoir toutes les informations relatives à un champ de recherche donné, allant d’un appel à contributions à un programme de colloque en passant par une offre d’emploi. Il permet également de diffuser à un public très large ses propres informations que l’on souhaiterait partager. L’inconvénient majeur est la contrepartie de cet avantage : la circulation de l’information étant large, l’abonné(e) peut vite se retrouver submergé(e) par une vague d’informations gigantesque. L’immense majorité des informations partagées n’intéressera pas directement l’utilisateur, le tri sera long (classement et conservation des courriels), et, au moyen du « répondre à tous », on peut se retrouver spectateur d’un débat interne à une discipline auquel on ne trouve pas nécessairement d’intérêt. Mais les quelques informations qui intéresseront bel et bien l’utilisateur peuvent justifier à elles seules l’abonnement. L’abonné(e) devra donc penser à affiner les réglages de sa souscription : fréquence des courriels reçus (un par annonce ? quotidien ? hebdomadaire ?), consultation dès la réception ou de façon regroupée pour éviter des dérangements répétés, etc.
Les réseaux sociaux spécialisés dans la recherche : Academia.edu et ResearchGate
Des réseaux sociaux exclusivement dédiés à la recherche se sont récemment développés. Academia.edu, lancé en 2008, est un réseau social pour universitaires qui leur permet de partager leurs travaux, d’en mesurer les répercussions, et de suivre les recherches des autres utilisateurs selon leurs intérêts personnels. J’y ai ouvert un compte en 2008 et je l’ai maintenu depuisConsulter la page d’Emmanuel Mourlon-Druol sur Academia.edu.↩︎. Academia.edu a plusieurs mérites : le site est plutôt facile d’utilisation, son indexation sur Google est excellente, et il permet effectivement de développer des liens avec d’autres chercheurs et de faire connaître sa recherche au-delà de ses cercles professionnels habituels. Comme tout réseau social, il offre indéniablement un certain nombre d’opportunités qui n’auraient pas été possibles il y a une dizaine d’années. Mais Academia.edu est également irritant : son indexation sur Google conduit à ce qu’une entreprise privée à but lucratif obtienne une visibilité supérieure à celle des universités (un profil Academia.edu arrive par exemple souvent en tête d’une recherche Google avant même celui de l’université de rattachement du chercheur) ; et si ce réseau social permet d’observer qui a pu trouver l’un de vos travaux, où, et quand, la compilation de ces statistiques reste obscure (Fitzpatrick 2015). En outre, depuis quelques mois, Academia.edu propose des solutions de monétisation de son service auprès des chercheurs, qui ont abouti à de nombreux articles encourageant les utilisateurs à effacer leurs comptes (Bond, s. d.).
ResearchGate fut également fondé en 2008. J’y ai personnellement ouvert un compte beaucoup plus tard que sur Academia.edu, en 2013 seulementConsulter la page d’Emmanuel Mourlon-Druol sur ResearchGate.↩︎. Ceci tient au fait que jusqu’à récemment, ResearchGate avait une image et un réseau essentiellement liés aux sciences « dures », puisque le site avait été fondé par le virologue Ijad Madisch (2012). Cette image a progressivement évolué, j’ai appris à connaître la plate-forme et j’ai vu un certain nombre de mes collègues s’y inscrire, ce qui m’a conduit à leur emboîter le pas. ResearchGate fonctionne sur le même principe que Academia.edu : l’utilisateur se crée gratuitement un profil, détaille ses intérêts de recherche, liste ses publications, et peut suivre d’autres chercheurs.
ResearchGate se distingue d’Academia.edu essentiellement par deux aspects. D’abord, le site offre la possibilité de poser des questions aux autres utilisateurs à propos d’une recherche – libre à chacun, bien sûr, de répondre ou non à ces sollicitations. Même si je ne l’ai personnellement jamais expérimentée, cette fonctionnalité semble bel et bien utilisée par nombre d’autres abonnés au site. Ensuite, ResearchGate a établi un indicateur – le RG score – décrit par le site comme « une nouvelle manière de mesurer votre réputation scientifique ». Là où Academia.edu offre des statistiques brutes de consultation de pages et de liste de mots-clés utilisés, ResearchGate apporte un chiffre qui permet de comparer les chercheurs entre eux.
ResearchGate, comme Academia.edu, crée donc autant d’opportunités que d’irritation. Le site permet indéniablement de tisser des liens et de faire des découvertes qui n’auraient pas été possibles sans ce réseau social ; et il contribue à une meilleure visibilité de sa propre recherche. Mais, comme Academia.edu, il tombe dans un certain nombre de travers critiquables. Le calcul du fameux RG score est assez mystérieux. Si le site explique bien les facteurs qui président à son calcul – publications, questions, réponses, followers – la production tout comme la pondération de ceux-ci restent opaques. Or, si ces modes de calcul sont inconnus, il est très clair qu’un article dans certains journaux vaudra toujours plus qu’un livre, ce qui est un biais de calcul considérable, surtout au vu de la diversité des disciplines universitaires utilisant le site. Comme Academia.edu, ResearchGate pousse à la mise en ligne du texte intégral de votre recherche, ce qui produit le même effet : offrir à une entreprise privée à but lucratif une recherche souvent produite sur fonds publics. À l’heure des compteurs sur les sites des maisons d’édition – notamment Taylor & FrancisTaylor Francis est une maison d’édition britannique spécialisée dans la publication d’ouvrages académiques et scientifiques. En savoir plus.↩︎ – une telle politique revient également à altérer le calcul : certaines publications seront vues sur le site de ResearchGate ou d’Academia.edu, et non pas sur le site de la maison d’édition d’origine, dont le compteur de vues ne sera donc plus un reflet statistique fidèle. L’universitaire doit donc réfléchir à deux fois avant d’offrir son texte intégral à Academia.edu ou ResearchGate, suivant l’usage (et la cohérence) qu’il souhaite obtenir des statistiques produites par ces différents sites. Personnellement, je ne mets pas le texte intégral de mes travaux sur ces réseaux sociaux s’il existe un compteur sur le site de la maison d’édition, afin de pouvoir maintenir ce compteur aussi fidèle que possible.
On peut également noter la création plus récente, en 2011, du réseau social Piirus, géré par l’Université de Warwick au Royaume-Uni. Piirus vise à permettre aux chercheurs de trouver plus facilement d’autres chercheurs aux intérêts similaires – le réseau Piirus a d’ailleurs débuté sous le nom de « Research Match ». L’utilisateur se crée un profil gratuitement, détaillant ses intérêts de recherche et ses méthodologies. Une fois qu’il a entré ses informations, le site suggère des profils d’autres chercheurs aux intérêts connexes avec lesquels il pourrait vouloir entrer en contact ou collaborer. Je n’ai personnellement découvert ce réseau que très récemment et n’y ai pas (encore) ouvert de compte. Il est à noter que ce réseau, à l’inverse de ResearchGate et Academia.edu, est soutenu directement par une université.
Alors que l’Open Access est au cœur des débats entre universitaires, États et maisons d’édition, la question de la disponibilité du texte intégral des recherches devient en effet cruciale. À partir du 1er avril 2016, au Royaume-UniAccéder au dépôt institutionnel de l’Université de Glasgow et à la page personnelle de l’auteur.↩︎, toute recherche devra avoir été déposée sur un site institutionnel une fois sa publication acceptée par une revue, à défaut de quoi le texte en question ne sera pas éligible au prochain cycle d’évaluation de la recherche des universités britanniques – le Research Excellence Framework (REF) – prévu pour 2020. Chaque université britannique possède son propre dépôt institutionnel – celui de l’Université de Glasgow s’appelle Enlighten – et chaque chercheur est tenu d’y référencer ses travaux. En France, la loi pour une République numérique d’octobre 2016 permet aux auteurs de mettre à disposition en libre accès leurs articles, s’ils sont issus d’une recherche financée en tout ou partie sur fonds publicsEn savoir plus sur la loi pour une République numérique.↩︎. La plate-forme HAL permet déjà à tout chercheur d’y déposer ses productions scientifiques et de disposer de certaines fonctionnalités que l’on retrouve sur les réseaux sociaux pour chercheurs, comme des statistiques ou un CV en ligne. En outre, un widget pour le CMS WordPress, disponible pour la plate-forme Hypothèses, permet d’intégrer certaines fonctionnalités de HAL dans son carnet de rechercheVoir l’article « Afficher une liste de publications dans Wordpress », Documentation HAL, mars 2016.↩︎.
La multiplication de ces réseaux, dépôts institutionnels et autres sites Internet dédiés aux universitaires a encouragé la création d’un identifiant unique des chercheurs – l’Open Researcher and Contributor ID, ou ORCID – depuis 2012. ORCID est un code alphanumérique non propriétaire permettant d’identifier les chercheurs de façon unique et permanente. C’est une entreprise à but non lucratif soutenue par des membres institutionnels comme des organismes de recherche et des maisons d’éditionORCID publie la liste complète des organismes le soutenant sur son site Internet.↩︎. D’une certaine façon, l’ORCID s’apparente au DOI (Digital Object Identifier) en ce qu’il cherche à permettre un repérage unique et pérenne de contenus (un article, un profil de chercheur) alors même que les adresses URL peuvent changer, ou que des homonymies entre chercheurs peuvent créer la confusion. Un nombre grandissant d’organismes de financement, comme le Wellcome TrustLe Wellcome Trust est une fondation britannique soutenant la recherche biomédicale. En savoir plus.↩︎ et l’European Research Council (ECROu Conseil européen de la recherche (CER), il encourage la recherche européenne en matière de science. En savoir plus.↩︎), encouragent les candidats à créer un compte ORCID. La création de ce compte est très simple, rapide, gratuite, peut s’effectuer en plusieurs langues, et résout effectivement nombre de problèmes de cohérence car il est international.
Les réseaux sociaux généralistes et les chercheurs : Facebook, Twitter, LinkedIn
Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, LinkedIn…) ne sont toutefois pas l’apanage des chercheurs. C’est d’ailleurs plutôt l’inverse, les deux réseaux sociaux les plus emblématiques – Facebook et Twitter – étant antérieurs à Academia.edu et ResearchGate. Les réseaux sociaux généralistes se sont progressivement introduits dans la recherche universitaire car ils servent de plus en plus comme plates-formes de partage et de collecte d’informations pour les chercheurs. Facebook, créé en 2004 puis accessible à tous en 2006, est sans doute devenu le plus célèbre au monde. Pour le chercheur, toutefois, il crée la suspicion, étant perçu comme frivole et prompt à susciter la controverse. Mais avec plus d’un milliard d’utilisateurs depuis 2015, Facebook joue un rôle dans la diffusion des travaux des chercheurs, et ceux-ci peuvent difficilement faire l’économie d’une réflexion sur le rôle de Facebook à cet égard. Certes, ce n’est pas un réseau pour universitaires comme ceux que l’on vient d’évoquer. Mais c’est peut-être là que réside son intérêt : il permet de faire connaître ses travaux scientifiques à des utilisateurs qui ne seront pas inscrits (et ne s’inscriront jamais) sur Academia.edu ou ResearchGate.
Facebook offre en effet la possibilité de scinder son profil d’utilisateur en deux : l’un privé, regroupant ses « amis » (l’accès à ce profil pouvant être lui-même encore limité), où les informations postées ne seront accessibles – selon les réglages de l’utilisateur – qu’à ce même cercle restreint ; et l’autre public, ou toute publication sera accessible librement, y compris à des personnes avec lesquelles l’utilisateur n’est pas « ami », ou encore via une simple recherche Google. Un chercheur peut donc poster en mode public un article qu’il vient de publier, et ainsi atteindre un lectorat potentiel beaucoup plus vaste que son simple réseau d’amis. Un utilisateur lambda peut lui aussi décider de suivre la page publique d’un chercheur, voire d’interagir avec lui. De plus, Facebook permet la création de groupes selon un centre d’intérêt donné. Le groupe La fabrique de l’histoire, consacré à l’émission d’Emmanuel Laurentin sur France Culture, compte plus de 15000 abonnésVoir le groupe La fabrique de l’histoire sur Facebook.↩︎ ; le groupe Les coulisses de Bruxelles, lié au blog du correspondant à Bruxelles de Libération Jean Quatremer, compte près de 4000 abonnésAccéder au blog Les coulisses de Bruxelles sur Libération.↩︎. Suivant les règles de partage de chacun de ces groupes, on pourra donc imaginer qu’un chercheur pourrait y partager l’annonce d’une publication et ainsi atteindre potentiellement plusieurs milliers d’autres utilisateurs. Dès que possible, je cherche à partager mes travaux sur Facebook, que ce soit sur ma page publique personnelle ou via les groupes Facebook pertinents. Ceci a indéniablement offert une plus grande visibilité et un plus large lectorat à certains de mes billets, en particulier ceux liés à l’actualité : la disparition des archives de Claude Guéant (Mourlon-Druol 2014b), la publication des premières minutes de la Banque centrale européenneVoir respectivement : Mourlon-Druol (2014d) et Mourlon-Druol (2015b).↩︎, l’union bancaireVoir : Mourlon-Druol (2013b), Mourlon-Druol (2014e) et Mourlon-Druol (2015a).↩︎, l’affaire de la publication des courriels d’Hillary ClintonVoir : Mourlon-Druol (2015c) et Mourlon-Druol (2015d).↩︎. Cette meilleure visibilité m’a permis d’être contacté par des journalistes et des chercheurs, et plus généralement de montrer, en libre accès, mes travaux et mon profil de recherche.
Twitter ne souffre pas du même a priori quant à la réputation que Facebook, mais plutôt d’un auditoire plus limité, et d’un modèle économique moins lucratif. Né en 2006, Twitter a environ moitié moins d’utilisateurs que Facebook, et surtout sans doute encore moins d’utilisateurs actifs. En effet, de nombreux comptes sont créés soit de façon robotique pour artificiellement augmenter le nombre de followers, soit en tant que comptes institutionnels et ont été abandonnés par leur créateur sans pour autant avoir été supprimés. Twitter est un réseau dit de « microblogging » : l’utilisateur tweete un message de 140 caractères maximum. L’utilisateur suit d’autres comptes, et d’autres comptes peuvent suivre l’utilisateur : aucune réciprocité dans le suivi n’est obligatoire. Les utilisateurs de Twitter peuvent répondre à un tweet, le citer, ou le retweeter. Twitter offre donc des opportunités similaires à celles de Facebook tout en ayant l’image (et la réalité) d’un réseau social plus sérieux et professionnel, en grande partie parce que la longueur des messages postés est fortement limitée. Un message succinct n’empêche certes pas la frivolité du commentaire, mais si celui-ci se veut réellement pertinent, la brièveté du message dévoilera les talents de concision et d’esprit de son auteur. J’utilise Twitter essentiellement pour partager et récolter des informations ayant trait à ma recherche, annoncer et promouvoir la publication d’un nouvel article ou billet de blog, et échanger avec d’autres utilisateurs. Comme tout réseau social ouvert, des règles de prudence élémentaires doivent être respectées, surtout sur Twitter, qui par défaut est public. Attention donc à ce que l’on publie… Tout message posté sur Twitter (sauf si on a un compte volontairement verrouillé, ce qui n’a pas vraiment d’intérêt) devient visible. Il peut être supprimé par la suite, mais suppression n’équivaut pas à disparition, puisque rien n’empêche un autre utilisateur de l’immortaliser par une capture d’écran, ou d’utiliser un dispositif technique plus complexe pour collecter des tweets.
Certains utilisateurs ne prêtent toutefois guère attention à ce qu’ils écrivent : Twitter et Facebook ont vu apparaître un type d’utilisateur bien spécifique, prompt à nourrir la controverse, baptisé familièrement le « troll ». Le troll est un utilisateur dont le but – souvent le seul et unique – est de perturber un débat, générer une polémique, engendrer le conflit, en cherchant constamment à empêcher un réel échange. Le troll provoque intentionnellement et ne cherche qu’à nuire, plutôt qu’à débattre sereinement. Un chercheur utilisant Facebook ou Twitter ne fera pas nécessairement face à ce type de situation – le cas échéant, la meilleure réponse est le silence – mais au moment de réfléchir à son implication dans les réseaux sociaux, le chercheur doit clairement réfléchir au trolling dont son sujet de recherche pourrait faire l’objet. Un sociologue travaillant sur les camps de migrants, ou sur les phénomènes de radicalisation religieuse, s’exposera très probablement à un trolling. Cela doit-il pour autant le décourager d’utiliser Facebook ou Twitter ? Il lui appartiendra de peser le pour et le contre en fonction de son champ de recherche, de ses attentes par rapport à l’utilisation des réseaux sociaux, et de sa propre capacité à gérer l’activité de ces trolls. Il faut surtout savoir que deux ripostes simples existent : en plus de garder le silence, on peut bloquer les trolls ou les signaler à Facebook/Twitter (si leurs propos incitent à la haine, par exemple).
Les réseaux sociaux de photos, comme Flickr et Pinterest ne sont
pas utiles dans mes recherches, en tout cas pour le moment, mais ils
ne doivent pas être délaissés pour autantFlickr
fondé en 2004, réunit photographes amateurs et professionnels.
Pinterest,
fondé en 2010, remplit des fonctions similaires mais s’organise autour
d’« épingles » thématiques (cinéma, bricolage, musique…) selon les
goûts de l’utilisateur.↩︎. D’abord, ces sites constituent
des bases de données et peuvent servir de source d’analyse pour de
futures recherches (qui s’en sert ? Comment et à quelles fins ?). Et
puis, certains comptes ou groupes peuvent être constitués dans une
perspective de collection de sources, comme The Great War Archive
Flickr GroupConsulter la page du groupe The
Great War Archive sur Flickr.↩︎. Ce groupe est la suite du projet
The Great War Archive, géré par l’Université d’Oxford pendant quelques
mois en 2008, qui a dû s’interrompre faute de financementEn
savoir plus sur le projet The Great War Archive.↩︎. L’Université a souhaité
continuer d’offrir la possibilité de recueillir des documents sur une
autre plate-forme, Flickr.
LinkedIn, créé en 2003 et ayant aujourd’hui environ moitié moins d’utilisateurs que Facebook, est un réseau social purement professionnel. L’utilisateur s’y crée gratuitement un profil qui ressemble à un CV, où l’on détaille sa formation, ses expériences, et son parcours. LinkedIn devient ainsi un carnet d’adresses en ligne, qui remplace la pile de cartes de visite collectées au gré des divers colloques et séminaires. LinkedIn reste certes dépendant de la mise à jour régulière de leurs informations par ses utilisateurs, mais il sera de toute façon plus à jour que la vieille carte de visite reçue il y a dix ans. L’utilisateur peut poster des informations strictement professionnelles qui seront diffusées dans un fil d’information – comme sur Facebook – à tous ses contacts. LinkedIn permet de maintenir un contact avec diverses personnes, et de se maintenir mutuellement informé des évolutions de carrière.
Les blogs de chercheurs
Le blog, ou carnet, permet à un auteur – le blogueur – de publier un texte, généralement succinct, sur un site Internet (Ertscheid 2008, 119). Du point de vue du chercheur, le blog fut d’abord regardé avec scepticisme. Ce scepticisme venait, un peu comme pour Facebook, de la frivolité de l’exercice. Les premiers blogs parus sur Internet se distinguaient par leur caractère très égocentrique : ils étaient des lieux de partage d’expériences personnelles culinaires, touristiques, cosmétiques, jardinières ou sportives. Le blogging était souvent présenté comme une activité de partage d’une information dont tout le monde aurait pu (dû ?) se passer. Les blogs intelligemment menés par des journalistes, des juristes ou des économistes ont toutefois permis de progressivement dissiper ces a priori. L’émergence du blogging scientifique a parachevé cette tendance. Il est désormais courant pour un chercheur d’écrire des billets de blog, ou bien de tenir un blog.
On peut distinguer deux grands types de blogs scientifiques : les blogs solo, et les blogs multiauteursJe reprends ici une distinction opérée par le blog Writing For Research, notamment dans le billet « How to write a blogpost from your journal article ».↩︎. Le blog solo est le carnet établi par un chercheur en son nom propre, soit sur son site InternetCe qui est mon cas. Voir e-mourlon-druol.com.↩︎, soit via une plate-forme dédiéeVoir les plate-formes hypotheses.org ou Medium.↩︎. Le blog pluriauteurs est un carnet institutionnel qui accueille des billets invités, écrits de façon ad hoc, comme La Vie des idéesAccéder au blog pluriauteur La Vie des idées – Books and Ideas dans sa version anglaise.↩︎, ou les différents blogs hébergés par la London School of Economics and Political Science, comme le LSE Impact BlogLe blog LSE Impact réunit une communauté de chercheurs, étudiants, politiques et professionnels ayant pour intérêt la maximisation de l’impact des travaux académiques, notamment dans le domaine des sciences sociales. Voir le blog LSE Impact.↩︎ ou le LSE EuroppEuropp (European Politics and Policy) est un blog académique multidisciplinaire ayant pour objectif de faciliter la compréhension des politiques européennes. Voir le blog LSE Europp.↩︎. Le blog pluriauteurs permet d’atteindre un lectorat potentiel bien plus large que le blog solo – un peu comme les groupes Facebook. L’un n’empêche pas l’autre : je maintiens mon blog personnel tout en ayant déjà publié sur des blogs pluriauteurs.
Les avantages du blogging scientifique sont nombreux, mais peuvent se résumer en un seul : il permet d’ouvrir la boîte noire que constitue la recherche. Il offre la possibilité d’expliquer les aléas d’un travail, de partager ses doutes sur une nouvelle méthode, éventuellement de tester une idée de recherche ou de présenter des résultats intermédiaires. Le carnet permet de diffuser des informations au-delà du cercle universitaire restreint, dans un style moins corseté que celui de la revue scientifique, tout en conservant rigueur et précision. Au Royaume-Uni, le site Write4Research explique comment transformer un article de revue scientifique en un post de blog digeste pour le commun des mortels (Write4Research 2015). J’utilise mon blog à ces fins. J’y ai partagé plusieurs réflexions liées au champ des humanités numériques : en plus des exemples (archives de Claude Guéant, publication des premières minutes de la Banque centrale européenne, et affaire des courriels d’Hillary Clinton), j’ai évoqué l’usage du numérique dans la recherche en histoire économique des relations internationales, et me suis essayé à un exercice de lecture distante en analysant le texte numérisé de l’intervention du chancelier allemand Helmut Schmidt à la Bundesbank en 1978Voir respectivement : Mourlon-Druol (2014a), Mourlon-Druol (2014c).↩︎. Ceci m’a permis de partager certaines réflexions, d’échanger avec de nombreux chercheurs (et ainsi de faire vivre et évoluer ces réflexions), sans avoir pour autant poussé ma recherche jusqu’à la publication formelle d’un article dans une revue scientifique. Je publierai peut-être ultérieurement ces travaux, mais cela ne constitue pas une priorité pour moi actuellement, et je me suis pour l’instant contenté de regrouper tous mes billets relatifs aux humanités numériques dans une seule et unique section sur mon siteVoir la section Digital History.↩︎. Certains billets m’ont également permis de vulgariser ou synthétiser quelques aspects précis de mes recherches, comme l’union bancaire, mais aussi les débats sur les excédents commerciaux dans la zone euro et la Capital Markets UnionVoir respectivement : Mourlon-Druol (2013a), Mourlon-Druol (2014f).↩︎. À nouveau, ces billets m’ont permis d’échanger avec des journalistes ou des membres de think tanks, et d’attirer leur attention sur mes publications scientifiques. Finalement, mes deux billets sur l’union bancaire précités présentent certaines réflexions que j’ai publiées dans un article dans le JCMS : Journal of Common Market Studies (s. d.). Mon blog me sert donc à tester des idées, partager des réflexions, et diffuser les résultats de ma recherche au-delà du cercle universitaire.
Mais le blogging scientifique n’en présente pas moins des inconvénients ou des risques. Le maintien d’un carnet ou la rédaction d’un billet est simple, s’apprend vite, et demande relativement peu de temps. Il n’empêche que même les choses les plus simples doivent s’apprendre, et donc demandent un minimum d’investissement personnel. À défaut, l’auteur risque de faire un blog décalé qui n’aura pas l’effet qu’il devrait avoir. De plus, si le blog demande relativement peu de temps, il doit tout de même être vivant, et donc se doit d’être alimenté régulièrement. Sans quoi l’auteur prend le risque que son blog/site paraisse abandonné. Le futur blogueur doit donc réfléchir à ses besoins et ses objectifs. En début de thèse, décider d’ouvrir un blog personnel et d’y publier un billet nouveau par semaine sera sans doute trop ambitieux : la priorité du moment n’est pas au blogging scientifique. Publier un billet dans un carnet multiauteurs pour faire connaître son sujet de recherche sera sans doute plus adapté. Pour autant, un chercheur qui s’est adapté facilement au style du blogging pourrait envisager, même tôt dans sa recherche, de développer un blog. Le sociologue multipliant les enquêtes de terrain dans un camp de migrants pourrait très bien publier une fois par mois un billet transcrivant une rencontre, ou corrigeant une erreur entendue dans le débat public. Mon expérience d’écriture de billets suit un peu cette tendance : je n’ai pas tenu de blog durant ma thèse, mais j’ai commencé à écrire des billets depuis 2010, la soutenance de ma thèse coïncidant avec l’intensification de la crise de la zone euro. Par la suite, les opportunités n’ont pas manqué pour mettre en valeur l’utilité d’une perspective historique sur les débats actuels, et le blog s’est avéré un moyen privilégié pour partager mes réflexions, en complément de mes publications scientifiques.
Il n’y a pas de formule miracle pour établir quelle pratique conviendra le mieux à un chercheur. Le plus sage est d’en connaître la diversité, les atouts et les avantages, et de bien réfléchir à ses propres besoins, attentes et priorités. Les besoins sont multiples et chaque plate-forme y concourt différemment : l’usage sera-t-il passif ou actif ? S’agit-il de collecter ou de diffuser de l’information ? Les réseaux sociaux pour chercheurs procèdent d’une dualité qu’il convient de garder à l’esprit, entre l’émetteur et le receveur. Le chercheur en début de doctorat sera sans doute principalement receveur, et devra tâcher d’être le plus disponible possible pour recueillir des informations susceptibles de l’intéresser. Mais une fois plus avancé dans sa thèse, et surtout une fois celle-ci achevée, le chercheur deviendra autant (si ce n’est plus) émetteur d’information que receveur. À ce titre, il devra faire attention aux différents publics susceptibles de suivre certains réseaux sociaux et pas d’autres ; et de ce fait à diffuser de façon plus large ses informations afin qu’elles atteignent leur public potentiel. Il convient également de composer avec la complémentarité des réseaux sociaux. En 2016, il serait dommage de tenir un blog et de l’alimenter régulièrement tout en restant rétif à l’utilisation de Facebook, Twitter et LinkedIn. Cela reviendrait un peu à construire un magnifique navire tout en refusant obstinément de le mettre à l’eau. Le chercheur doit avant tout penser à la stratégie globale qui lui convient, à sa cohérence d’ensemble. En étant bien conscient de ses propres compétences et limites, il pourra jongler efficacement entre les différentes plates-formes, plutôt que de se perdre dans la jungle des réseaux sociaux.
Références
Emmanuel Mourlon-Druol
Emmanuel Mourlon-Druol est maître de conférences à l’Adam Smith Business School de l’Université de Glasgow, Non Resident Fellow à Bruegel (think tank européen spécialisé en économie), et professeur invité à l’Université Libre de Bruxelles. Il est l’auteur de A Europe Made of Money: the Emergence of the European Monetary System(Cornell UP, 2012), a dirigé avec Federico Romero International Summitry and Global Governance: the Rise of the G7 and the European Council (Routledge, 2014), et a publié de nombreux articles dans des revues telles que Business History, Cold War History, Contemporary European History, Diplomacy & Statecraft and West European Politics. Emmanuel Mourlon-Druol est docteur en histoire de l’Institut universitaire européen de Florence et diplômé d’un Master en histoire des relations internationales de la London School of Economics.